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Larker Boyett a été relâché. Il a payé sa caution sans problème. Il n’est pas inquiet. À peine sorti de prison, il a mis sur l’affaire un prestigieux cabinet d’avocats qui a aussitôt porté plainte pour sévices et harcèlement policier envers un infirme. Pendant l’interrogatoire, il s’est cramponné à sa version des faits : il ne savait pas que le requin livré par Peggy Meetchum provenait de la réserve des laboratoires pharmaceutiques. Il pensait sincèrement que l’animal avait été pêché en haute mer. On a abusé de sa bonne foi. Quant à l’attaque dont le Club a été la cible, et qui a fait 4 morts parmi les adhérents, il l’attribue à un commando d’écologistes fanatiques des Punks verts – comme on en voit de plus en plus sur le territoire des États-Unis. Des défenseurs hystériques des requins, prêts à tuer des infirmes pour sauvegarder les pires prédateurs de l’océan ! Il fera campagne là-dessus, il sait que la population commence à éprouver un certain agacement face aux milices vertes, c’est une bonne chose pour lui.

Pour le moment, il roule au volant de sa Cadillac Sedan de Ville rose, le coude à la portière. La perspective du procès ne l’effraie pas, il est sûr de son bon droit et il s’y présentera accompagné de tous ses adhérents exhibant leurs blessures. Ce qui l’ennuie davantage, c’est l’échec du rituel. Il a eu beau participer activement à la mise à mort du squale, connaître la joie de le mettre en pièces en le traînant sur la route, il n’a pas éprouvé d’amélioration sensible de son état. Les cauchemars sont revenus… et il est toujours incapable de la moindre érection.

Mais il ne se désespère pas pour autant car il a déjà un autre projet en tête.

Pendant qu’il roule à petite allure, il tend la main vers la boîte à gants, l’ouvre, et y prend le flacon de liquide incolore qui s’y trouve. C’est la drogue que Peggy et son ami asiatique cherchaient avec tant d’acharnement, il en a l’intuition. Il l’a subtilisé dans l’armoire à pharmacie du bungalow, le jour où les adhérents préposés à la surveillance de Brandon l’ont averti que le jeune homme se livrait à des manipulations bizarres sur un cylindre de métal inoxydable.

Tout de suite, Boyett a senti que quelque chose d’intéressant se préparait, et il s’est déplacé pour venir retrouver ses gars planqués dans les buissons. Brandon venait de sortir, emportant avec lui le container vide. Boyett a profité de son absence pour pénétrer dans le bungalow. Crocheter la serrure bon marché ne présentait pas de difficulté. Il s’est rendu dans la salle de bains pour renifler le contenu des fioles sans étiquette alignées sur les étagères. De l’une d’entre elles émanait une odeur étrange, inconnue. Boyett a deviné qu’il s’agissait d’un produit peu courant, peut-être une drogue illégale…

Sa première idée a été de la voler pour faire chanter Brandon et obtenir de lui la livraison d’un requin. Sans plus réfléchir, il a transvasé le contenu du flacon dans une bouteille vide récupérée dans la poubelle. Puis il a rincé le flacon d’origine et l’a rempli d’eau du robinet avant de le remettre en place. Ni vu ni connu.

Les jours suivants, il a renforcé la surveillance autour de Peggy et de Brandon. On lui a rapporté qu’ils s’agitaient curieusement, surtout Brandon…

Un matin, Boyett a vu le jeune homme piquer un sprint insensé sur la plage. On aurait dit qu’il allait s’envoler. Auparavant, l’ancien cascadeur s’était fait une piqûre. Grâce à ses jumelles, Boyett a pu le voir manipuler une seringue sortie de la boîte à gants de la Buick Century. Une piqûre d’un produit dopant d’un genre un peu particulier.

C’est alors que Larker a commencé à réfléchir… Il en a déduit que la jolie Peggy trempait dans un quelconque trafic de drogue, ce qui lui a ôté ses derniers scrupules. Il était décidé à la faire – chanter le requin en échange de la drogue mystérieuse – quand elle s’est mis en tête de sortir un squale de la réserve. Dès lors toute tractation devenait inutile, il suffisait de voler le requin… ce que ses hommes ont fait avec une maestria peu commune pour des infirmes lourdement handicapés.

Aujourd’hui Peggy Meetchum est en fuite. Le Japonais a disparu, Brandon a été retrouvé exsangue dans une villa louée sous un faux nom, et la compagnie pharmaceutique pleure son beau requin mis en pièces.

 

Mais Larker Boyett, lui, possède à l’insu de tous la drogue qui a causé ce chaos. Elle est là, dans ce petit flacon de verre anodin. Il va la faire analyser par des chimistes compétents, à sa solde. Il verra s’il peut en tirer une solution utilisable, un médicament qui lui permettrait de se déplacer aussi vite que Brandon sur la plage ce matin-là… Boyett n’oubliera jamais l’expression extatique imprimée sur les traits du jeune homme. Il a compris, ce jour-là, que l’effet du produit ne se cantonnait pas à la seule amélioration des performances physiques. Il y avait autre chose… Une joie surhumaine, la certitude d’avoir enfin triomphé des servitudes et de la pesanteur du corps humain. Et Boyett se dit depuis un moment qu’une telle sensation pourrait bien le guérir de ses problèmes.

Il va travailler là-dessus… Voir si, tout infirme qu’il est, il ne pourrait pas se payer l’illusion d’être plus rapide que ceux qui vont sur leurs deux jambes, plus rapide que les plus rapides des sportifs américains.

Il y pense. Il y pense même bougrement.

Le président du Club des Dévorés Vifs n’a pas dit son dernier mot !

 

FIN



[1]Voir Les Enfants du crépuscule, Le Livre de Poche n°17.064.

[2]Voir Les Enfants du crépuscule.

Baignade accompagnée
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